Actes du congrès de Montfort sur Meu
Katharine Keats-Rohan
Raoul Anglicus et Raoul de Gaël :  un réexamen des données anglaises et bretonnes

 

De Conan Ier à Alain III (970-1040), les comtes de Rennes réussirent à contrôler la construction de châteaux et l'émergence de seigneuries châtellaines. À leur origine, se trouve une donation faite à l'un des administrateurs du fisc comtal, puis la transmission du bien évoluait lentement pour devenir héréditaire au sein d'une seule famille, dotée de sa propre hiérarchie de personnes dépendantes. L'un des dangers inhérents à une telle pratique était qu'un officier puissant, comme un vicomte, s'empare de pouvoirs qui en fasse le rival du comte, situation qui fut celle des vicomtes d'Alet. Les fils d'Hamon Ier d'Alet et de sa femme Roiantelina de Dol contrôlaient le diocèse de Dol (Junguenée) au temps d'Alain III et firent bâtir des châteaux à Dol et Combourg (Rivallon I), dans le diocèse d'Alet, au nord du Rennais20. Un autre frère, Gauzlin, fit construire un château à Dinan, sur la Rance, aux frontières de la Domnonée, région accordée en apanage à Eudes, frère d'Alain III. Pendant la minorité de Conan II et la guerre civile qui s'ensuivit, entre 1047 et 1057, Eudes et ses fils tentèrent d'étendre leur influence dans le Dolois. Avant 1057, Eudes autorisa la construction de deux nouveaux châteaux dans la partie nord du diocèse d'Alet, à Tinténiac et Châteauneuf- des-Noës (aujourd'hui Chäteauneuf d'Ille-et-Vilaine), ce dernier étant octroyé à un petit-fils du vicomte Hamon. Tinténiac alla à un dénommé Donoal, père de Guillaume l'Ismaélite, dont le nom et les droits sur l'église de Notre-Dame de Combourg montrent qu'il appartenait à la parentèle de Rivallon de Dol reconnue par H. Guillotel21. Le pouvoir de la famille s'étendait jusqu'à la limite du Nantais, où Innoguent, sœur de Rivallon, était mère de Brient, seigneur éponyme de Châteaubriant22. La fondation du couvent de femmes de Saint-Georges de Rennes [8], par le comte Alain III pour sa sœur Adèle, témoigne de l'importance de cette famille. C'est dans la charte de fondation de ce couvent que nous rencontrons pour la première fois Hamon, évêque d'Alet, qui avait remplacé Raoul vers 1026-1034. Hamon, qu'il s'agisse ou non d'une coïncidence, était le prénom germanique du père et du frère de Rivallon, vicomtes d'Alet. Un important prieuré du couvent, à La Chapelle-Janson, fut créé grâce à un don de Roiantelina, vicomtesse de Dol, mère de Rivallon et de ses frères, celle-ci étant probablement elle-même fille d'un certain Rivall23. Il est possible qu'elle constitue le lien avec Wicohen, archevêque de Dol, qui, entre 954 et 970, partagea le pouvoir sur la Bretagne avec Thibaud Ier de Blois. C'est avec son fils Junguenée, qui succéda sans doute à l'un de ses oncles, du nom de Main, que commencèrent les prétentions héréditaires au diocèse de Dol. L'un des autres prieurés de Saint-Georges était Tinténiac, où le premier à occuper la seigneurie fut un certain Donoal, dont le fils (?) Raoul apparaît avec Rivallon de Dol dans le document de Saint-Pern, son frère, Guillaume l'Ismaélite, ayant succédé à son père. C'était un homme au caractère incertain, capable de se laisser aller à des débordements de violence, dont le fils Donoal, moine de Saint-Melaine de Rennes, fut, par la suite, l'un des évêques les plus remarquables d'Alet. Guillaume était le prénom que portait aussi le fils aîné de Rivallon de Dol, qui devint moine puis abbé de Saint-Florent, laissant sa seigneurie à son frère Jean. Selon Orderic Vital, c'était aussi le prénom du fils aîné de Raoul de Gaël, dont le beau-père était Guillaume fitz Osbern, ami de Guillaume le Conquérant. Si Guillaume était réellement un fils aîné, cela laisserait entendre que le prénom faisait aussi partie de son patrimoine24. Il est possible que le nom du fils cadet, Alain, renvoie à la famille de la mère bretonne, et sans doute de haut rang, de Raoul de Gaël. À l'époque de la refondation de Saint-Pern, le prénom Raoul se trouve dans la famille de Tinténiac. C'est aussi celui que porte le plus jeune fils et futur héritier de la famille seigneuriale de Fougères, qui, auparavant, n'utilisait en alternance que les prénoms bretons Main et Alfred. La plus ancienne apparition connue de ce prénom dans un contexte purement breton est celle de Raoul, évêque d'Alet vers 990-1013-1026/32 [6]. Il est probable que c'était un parent proche du Raoul cantor qui apparaît en 1032 dans une charte du Mont-Saint-Michel où Raoul l'Anglais [5] figure aussi comme témoin. Il est mentionné encore vers 1060 comme étant le père des chantres Gauzlin et Hervé qui avaient tenu les églises de Saint-Étienne et de Saint-Germain à Rennes. Un accord entre ces deux hommes et Main, évêque de Rennes et neveu de Junguenée, fut confirmé en présence du comte Conan, entre 1055 – date de la refondation de Saint-Melaine –, et la mort de Conan en décembre 1066. Cet accord eut pour témoins Main, le neveu de l'évêque, l'abbé Even(tius) de Saint-Melaine, Raoul de Gaël et Raoul, fils d'Alain [12]. L'abbé Even(tius), qui devint plus tard archevêque de Dol, était l'un des fils de Raoul le Large, ancêtre des seigneurs de Saint-Aubin-d'Aubigné, comme l'a montré Michel Brand'Honneur25. Raoul le Large avait aussi d'autres fils, nommés Guillaume, Main (père de Raoul, Robert et Guillaume), Juhel et Euen. L'évêque Raoul lui-même eut peut-être deux fils : Main et Guillaume, fils de Raoul l'Évêque, qui furent témoins de chartes de Main de Fougères vers 1040-1047…….

…. Guillaume l'Ismaélite de Tinténiac était notoirement connu pour sa tendance à abuser de son pouvoir et à ne pas respecter les églises. Cependant, il exista toujours une tension implicite entre seigneurs et monastères. Ils étaient certes interdépendants, mais chacun se faisait une idée très nette de ses droits et privilèges. Saint-Méen continua à être soutenue par le duc, mais succomba bientôt aux prétentions seigneuriales. Dans l'aveu de 1679, l'abbé déclare que son abbaye versait depuis longtemps une somme annuelle de 60 livres au baron de Gaël, sans qu'il en sache la raison..